LE GROUPE EUROPÉEN DES MATÉRIAUX de construction et des métaux prend
des mesures draconiennes pour empêcher le syndicalisme de prendre pied dans
ses usines des E.-U.
D'un jour à l'autre, Keith Fulbright s'est retrouvé suivi par les patrons,
les superviseurs et des observateurs. Partout où il allait - et en sa
qualité de directeur de service, il se déplace sans cesse dans la société -
il était suivi. Quand il s'arrêtait pour parler à un collègue, des hommes
l'approchaient et restaient juste derrière lui. Finalement, un groupe
d'employés qui le suivaient l'attendirent dans un corridor et menacèrent
de le battre. La raison ? Keith avait signé une carte demandant à son
employeur de reconnaître PACE comme syndicat des employés - et un de ses
collèges l'avait raconté à la direction. PACE est l'acronyme du Syndicat
International Paper, Allied-Industrial, Chemical and Energy Workers, la
contrepartie aux E.-U. de IG Bergbau, Chemie, Energie (IG Mines, Chimie,
Energie).
Les dirigeants de la société réagirent immédiatement et répandirent la
rumeur que l'organisation d'un syndicat pourrait mener à des réductions
de salaire, et même à la fermeture de sociétés. Une raison de plus pour
opposer les employés aux syndicalistes. La raison pour laquelle cette
histoire a une résonance régionale, c'est qu'un groupe multinational qui
a des filiales en France, en Belgique, au Canada et en Angleterre est en
cause. Bertelsmann est aussi représenté dans ce "monstre du capital".
Keith Fulbright n'a pas fait lui-même l'expérience d'appartenir à un
syndicat ; son père, pourtant, était un syndicaliste chevronné. Le besoin
d'une organisation syndicale, même dans un patelin comme Sylacauga en
Alabama, dans le sud des E.-U. où les syndicats sont pratiquement
inexistants, se faisait sentir depuis une méga-fusion de l'été dernier,
quand Imetal, le fabricant français de matériaux de construction, et la
société britannique English China Clays (ECC), qui détient une part de
52% du marché global des céramiques, fusionnèrent et prirent le nom
d'Imerys. Imerys, dont le siège social se trouve à Paris, emploie
environ 10 000 personnes autour du globe, dont la moitié environ se trouve
aux E.-U. Suite à cette fusion, deux compagnies de la ville de Sylacauga,
surtout vouée à la filature du coton, se retrouvèrent sous le même toit.
La plus petite était syndiquée depuis 1975, la plus grande ne l'était pas ;
quand ECC fit l'acquisition de la compagnie à son propriétaire américain
en 1994, les dirigeants de la compagnie anglaise renvoyèrent tous les
employés syndiqués.
Les dirigeants de l'ancienne ECC (désormais Imerys) informa PACE que le
syndicat ne représentant qu'une minorité de travailleurs des deux sociétés,
ne comptait donc plus comme partenaire antiprotectionniste. Depuis lors,
toute tentative de formation d'un syndicat dans la société, qui n'est
toujours pas organisée, sont bloqués par l'intimidation et la revanche,
déclare Joe Drexler du bureau de PACE à Nashville, Tennessee.
PACE a porté plainte auprès du National Labor Relations Board et a
documenté les tactiques d'intimidation. Un groupe d'employés de la société
parmi les mieux payés, aurait paraît-il formé un groupe appelé "A-Team",
qui porte des jerseys imprimé du symbole "Tough Guys" (Les brutes). PACE
a en outre reçu une brochure préparée à l'intention des superviseurs des
différents départements, qui explique comment déceler les activités
touchant au syndicat ("si des employés qui ne travaillent pas ensemble,
se groupent et discutent"), ou comment arrêter la formation d'un syndicat
dès le début ("expliquer aux employés qu'ils risquent d'être remerciés
s'ils se mettent en grève"). Frank Parker, avocat d'Imerys, a confirmé
l'existence de la brochure à la revue taz ; il a aussi confirmé que des
règlements ont probablement déjà été violés.
Il accuse pourtant le syndicat d'essayer d'éviter un vote des employés
parce que le syndicat craint de perdre. Sans doute. Imerys - et non le
syndicat - a choisi une date à laquelle les employés devront voter pour
décider s'ils veulent être représentés par un syndicat. PACE déclare que
l'environnement de travail est 'empoisonné' au point qu'il n'est pas
question d'avoir une élection libre au sujet du syndicat.
Les représentants de PACE sont persuadés que les tentatives pour éviter
toute activité syndicale dans les compagnies internationales qui exploitent
des usines aux E.-U. n'est que le premier pas vers l'affaiblissement des
syndicats européens. "L'Amérique pourrait bien devenir le Mexique de
l'Europe", selon Drexler. Le seul espoir est de voir les syndicats s'unir
au niveau international, et se globaliser.
Taz N°6060 du 5 février 2000. Page 9, Wirtschaft und Umwelt
Rapport TAZ par Peter Tautfest
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